Puis vint la cérémonie de remise des prix, qui a déclenché la colère de toute la profession. On a essentiellement parlé de la monumentale bévue que fut le canular complètement raté consistant à décerner pendant près de dix longues minutes de faux Fauves à de vrais albums réellement en compétition, puis annoncer aux auteurs et éditeurs que c’était une blague et passer à la vraie distribution des vrais Fauves. C’était une réelle et cruelle faute de goût doublée d’un manque de professionnalisme certain : en effet, lorsqu’on s’amuse ainsi aux Oscar ou aux César, on prévient les intéressés, on obtient leur accord, on leur demande de participer, on prépare leur rôle et on les fait répéter… Mais il y a eu beaucoup d’autres « ratés » dans cette cérémonie, notamment quelques allusions sexistes à la polémique qui avait précédé le festival, et des « bimbos » outrageantes, dénoncées le lendemain par Patrice Killoffer : « L’humour, c’est super quand c’est drôle. Là, c’était un accident industriel. Après la polémique sur les femmes, ils font quoi ? Ils envoient deux potiches avec des perruques faire les guignols sur scène. Ce festival souffre d’un vrai problème d’amateurisme. »

Un amateurisme indigne d’une si grande manifestation, ce que n’a pas manqué de relever la presse, notamment les médias étrangers. Un exemple en Espagne : « Angoulême clôture ainsi l’une de ses éditions les plus désastreuses et malheureuses, qui a vu sa réputation de festival de bande dessinée de référence gravement discréditée. » Mais le festival ne s’excusa pas et revendiqua même sa liberté de ton. Franck Bondoux, au cours d’une conférence de presse, se dit victime de la « dictature du tweet » et attaqua le public : « Certaines personnes ne savent pas apprécier l’humour à sa juste valeur et c’est bien regrettable. »[1]
Le fiasco de cette cérémonie et les outrages qui y ont été commis ont fait déborder le vase. Après les auteurs et autrices, ce fut fin février au tour de pas moins de 41 éditeurs, par la voix de leurs deux syndicats représentatifs, d’apostropher la ministre de la Culture pour l’appeler à une refondation complète d’un festival qui doit être « repensé en profondeur, dans sa structure, sa gouvernance, sa stratégie, son projet et ses ambitions », faute de quoi ils boycotteraient l’édition 2017 de la manifestation majeure de leur secteur, et se réservaient même la possibilité de construire eux-mêmes un autre moment fort dans l’année. Les auteurs, à travers leur syndicat le SNAC-BD, ont approuvé l’appel des éditeurs.
Et puis, n’oubliant pas quel premier dysfonctionnement avait cette année déclenché la fronde et fait exploser la cocotte-minute des insatisfactions et des colères, l’association Artémisia pour la bande dessinée féminine publia à son tour un communiqué :
« D’après le communiqué des éditeurs de bande dessinée, « la dernière édition du Festival a cumulé les errements : absence de femmes dans la liste des auteurs éligibles au Grand Prix de la Ville d’Angoulême, mécontentement des auteurs souvent maltraités par l’organisation, baisse de la fréquentation, opacité dans les sélections des prix, cérémonie de clôture désastreuse ».
« En ce sens, Artémisia salue le courage du Syndicat National de l’Edition (SNE) et du Syndicat des éditeurs Alternatif (SEA) et des 41 éditeurs et éditrices associé.e.s qui dénoncent l’incurie répétée du festival de la BD d’Angoulême.
Depuis 10 ans, Artémisia critique le très faible taux de femmes présentes dans le jury et le très faible taux de femmes nommées. L’édition 2016 est en ce sens une manifestation insupportable de ce sexisme qu’il est grand temps de dépasser.
Pour Artémisia, la culture est un outil d’émancipation, et restaurer l’image du FIBD passe par une véritable remise à plat de son fonctionnement, de son financement et de sa gouvernance et par une démarche de promotion culturelle à la hauteur des enjeux que représente ce festival en France, mais aussi dans tous les pays où il rayonne. Il en va de la légitimité et de la crédibilité de cet événement.
Nous approuvons l’appel à la médiation et proposons d’en faire partie. »
@ Gilles Ciment
[1]. Cité par Le Figaro (http://www.lefigaro.fr/bd/2016/01/31/03014-20160131ARTFIG00126-festival-d-angouleme-la-fausse-remise-de-prix-afflige-le-monde-de-la-bd.php), qui fit le lendemain une mise à jour à la demande de l’intéressé en supprimant cette phrase, dont il reste trace dans les commentaires de lecteurs…
Femmes dans la bande dessinée : des pionnières à l’affaire d’Angoulême (11/12)
« Angoulême, acte 4 : la coupe est pleine »
Lire les différents passages :
Revenir au début : 1 – Une mascotte révélatrice d’un sexisme ambient et tenace
Revenir au précédent : 10 – Angoulême, acte 3 : pendant le festival, le combat continue…
Lire la suite : 12 – Angoulême : finale ?