C’est donc parce qu’il n’y avait visiblement pas d’espace pour l’expression des femmes, que sous la pression insistante de Janic Dionnet et Trina Robbins, une dessinatrice américaine de passage en France, que les Humanoïdes Associés lancèrent en 1976, à côté de Métal Hurlant, le magazine Ah ! Nana. Inspiré du Wimmen’s Comix américain, il était réalisé par des femmes : les Françaises Chantal Montellier, Nicole Claveloux, Florence Cestac, Marie-Noëlle Pichard (fille de Georges), Keleck et Aline Issermann, mais aussi l’Américaine Trina Robbins, l’Italienne Cecila Capuana, la Néerlandaise Liz Bilj et bien d’autres.

Teinté de féminisme, il n’était pas non-mixte (on y trouvait un homme invité par numéro, en somme l’inverse de la proportion qui avait cours dans les autres publications) et surtout pas anti-hommes, à une époque où un courant non négligeable du mouvement féministe se revendiquait castrateur. Hélas, frappé d’interdiction de vente aux mineurs et d’affichage en kiosque pour cause de « pornographie » (dont il était pourtant exempt, quand L’Écho des savanes flirtait avec), condamné à l’invisibilité, il ne put plus se vendre et disparut en 1978 après neuf numéros riches en découvertes passionnantes, dont je fus un lecteur assidu. Certaines des créatrices qui y furent révélées devinrent illustratrices ou cinéastes, d’autres restèrent en bande dessinée et creusèrent leur sillon, souvent isolées, et les années suivantes virent bien peu de femmes apparaître aux côtés de Chantal Montellier (que Métal Hurlant continuait à publier après la disparition de la revue sœur), Florence Cestac ou Annie Goetzinger. Les efforts de Nicole Claveloux pour continuer à publier de la bande dessinée pour adultes furent vains et elle dut, comme beaucoup de ses consœurs, retourner à la bande dessinée et l’illustration pour enfants, « pré-carré » assigné aux femmes.
@ Gilles Ciment
Femmes dans la bande dessinée : des pionnières à l’affaire d’Angoulême (3/12)
« Les pionnières de Ah ! Nana »
Lire les différents passages :
Revenir au début : 1 – Une mascotte révélatrice d’un sexisme ambient et tenace
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